Chapitre 2 - Edinburgh Airport
A l'aéroport d’Édimbourg, deux jeunes femmes étaient postées à l'arrivée des passagers.
La plus jeune, blonde, très jolie, devait avoir dix-huit ans. L'autre, brune, paraissait un peu plus âgée.
Sans pouvoir prétendre rivaliser avec la beauté de sa compagne, elle présentait un visage régulier dont le regard doux rayonnait de bienveillance.
Leurs longs cheveux noués en chignon derrière la tête et les robes sages dont elles étaient vêtues contrastaient avec les tenues plus osées des autres femmes
qui s'agitaient dans le hall où elles se trouvaient.
— Sharon ! Regarde. Voilà leur avion qui atterrit.
Étonnée par le silence de son amie, la plus âgée se retourna vers la plus jeune.
— Qu'est-ce qui t’inquiète ? Ce matin tu bouillonnais d'impatience. Et maintenant tu sembles soucieuse.
— Je ne sais pas si c'est une bonne idée de leur raconter ce qui m'est arrivé. J'envie la facilité avec laquelle tu arrives à parler du Seigneur.
Quelle va être leur réaction ?
— C'est surtout la réaction de Johan que tu redoutes.
Sharon ne répondit rien. Elle méditait.
*
* * *
* * *
Lors de la fête paroissiale qui avait clôturé les vacances deux ans auparavant, elle avait ouvert le bal avec Johan son cousin français.
Ce soir-là, il portait le tartan du clan MacPelt avec une telle noblesse que cela l'avait émue.
Très différent des autres garçons, il lui avait manifesté beaucoup d'égards pendant toutes les vacances et elle avait répondu favorablement à ses avances.
Lorsqu'ils s'étaient quittés, il l'avait serré très fort dans ses bras.
Les lettres qu'il lui avait écrites par la suite, sans l'avouer explicitement, laissaient transpirer les sentiments qu'il éprouvait pour elle.
Et elle en était flattée.
Mais depuis, à l'université d’Édimbourg, elle avait rencontré Kathleen. Cette fille rayonnait quelque chose qui donnait envie de devenir son amie.
Dès leur première rencontre, le courant passa entre elles, favorisant les confidences.
Un soir, pendant le repas, Kathleen expliqua à Sharon qu'elle était chrétienne, qu'elle avait décidé quelques années avant,
par la grâce du Saint-Esprit, de reconnaître que Jésus était son sauveur et son maître.
Au début, Sharon ne comprit pas la démarche de son amie. Elle-même, de religion catholique romaine, comme beaucoup de ses compatriotes écossais,
avait été baptisée bébé dans la paroisse familiale à Galdwinie. Elle avait été éduquée chrétiennement dans sa famille particulièrement pratiquante.
Elle pensait être chrétienne.
— Tu fais partie d'une secte ? demanda Sharon.
— Si, comme beaucoup de protestants, tu penses que l'église catholique en est une, alors peut-être, répondit Kathleen, un peu choquée par la question.
— Je ne voulais pas te peiner. Je suis aussi catholique. Mais pourquoi insistes-tu sur le fait que tu es « chrétienne » ?
— Qui est Jésus pour toi ? lui demanda Kathleen en retour.
— C'est le fils de Dieu. Il est mort pour le péché du monde, condamné par des hommes qui n'ont pas compris son message d'amour.
— Oui, ça, c'est ce qu'on enseigne au catéchisme. Mais POUR TOI ?
Ce n'était pas la première fois que Sharon était interpellée comme cela sur la réalité de sa foi.
Lorsque ses cousins étaient venus en Ecosse, ils s'étaient rendu tous les quatre à Londres pour assister à la comédie musicale Jesus Christ Superstar.
Ce spectacle relatait la vie de Jésus et de ses apôtres. Elle regretta alors de ne pas avoir vécu au temps de Jésus dans son intimité,
pouvant écouter ses paroles comme les apôtres l'avaient fait. La comédie musicale se terminait par la mort de Jésus, laissant ses disciples désemparés.
Elle en avait discuté avec Johan, qui, avec sa mentalité rationnelle très « française », l'avait rassurée,
précisant que tout cela s'était déroulé il y a 2000 ans, qu'on ne savait pas exactement ce qui s'était réellement passé et qu'il fallait vivre avec son temps.
Une strophe d'un blues qu'elle avait entendu à l'église lui était revenue en mémoire :
A quoi bon ces trois années d'espoir ?
Ils l'ont mis au fond d'un grand trou noir.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Ils l'ont mis au fond d'un grand trou noir.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
— Tu sais, j'anime des études bibliques avec d'autres étudiants, reprit Kathleen. Acceptes-tu de m'y accompagner ?
— Oh la bible ! C'est très compliqué. C'est un peu prétentieux de prétendre l'étudier, non ?
— Cela dépend ! Si l'on admet l'idée que les gens qui l'ont écrite, l'ont fait sous l'inspiration de Dieu, il s'agit du vrai message que Dieu désire adresser aux humains. S’Il existe, cela est important de comprendre ce qu'Il a à nous dire, tu ne crois pas ?
— Oui ! Bien sûr ! Vu comme ça ! Bon, OK, ça marche.
Par la suite, Sharon prit l'habitude d'accompagner Kathleen à ses réunions.
Elle se sentait en confiance avec ces filles qui n'hésitaient pas à affirmer leur amour pour le Seigneur.
Quelques fois elles se réunissaient au groupe des garçons, chrétiens eux aussi, pour un repas suivi par une prière en commun.
Lors de l'un de ces repas en fin d'année scolaire, les garçons avaient chanté le fameux blues :
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Il disait : Je suis venu chercher
Mes brebis, elles étaient égarées.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Mes brebis, elles étaient égarées.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Ils ont mis des épines à son front,
Et des clous à ses poings, ses talons.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Et des clous à ses poings, ses talons.
Oh ! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
A quoi bon ces trois années d'espoir ?
Ils l'ont mis au fond d'un grand trou noir.
Oh! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Ils l'ont mis au fond d'un grand trou noir.
Oh! Je tremble, tremble encore,
Quand je repense à sa mort.
Ils ont mis le Maître sur la croix.
Aux lueurs de la troisième aurore,
Dans la tombe, on a cherché son corps.
Il avait roulé la pierre.
Il avait vaincu la mort.
Son amour est plus précieux que l'or.
Dans la tombe, on a cherché son corps.
Il avait roulé la pierre.
Il avait vaincu la mort.
Son amour est plus précieux que l'or.
Cette fois ci, Sharon l'écouta en entier. A l'évocation des souffrances endurées par Jésus,
causées et provoquées par ceux-là même qu'Il aimait tant au point d'accepter de mourir pour eux, pour elle aussi, pour elle tout particulièrement,
elle en fut bouleversée et se mit à pleurer sans pouvoir s’arrêter. Jusqu'à présent l'avant dernière strophe,
la seule dont elle se souvenait, la laissait dans le désespoir.
Mais la dernière strophe, affirmait, plus, célébrait la résurrection du Maître, la victoire de son amour sur la mort.
Jésus était présent là, maintenant et elle ressentit au plus profond d'elle Sa voix qui disait comme à Marie de Magdala le matin de Pâques (Jean 20:11-18) :
— Sharon, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Je suis Jésus ressuscité.
Kathleen attentive à ce qu'était en train de vivre son amie, l'attira à l'écart et lui demanda de prier avec elle :
— Seigneur, je regrette de ne pas t'avoir donné la première place dans ma vie. Aujourd'hui je décide de te suivre comme tes disciples.
Je sais maintenant que tu es vivant, que toi seul peut me sauver. Je te reconnais comme mon Seigneur et mon Maître.
Je te confie ma vie. Je te fais confiance pour la diriger pour que je sois heureuse.
Par la suite elle persévéra, aidée par Kathleen, dans la prière, la lecture et l'étude de la bible.
Elle s'était procuré une bible dans une librairie évangélique à Édimbourg.
Elle en avait même acheté une qu'elle avait envoyée à Johan comme cadeau au dernier Noël.
Lors d'un weekend passé à Galdwinie, le Père Kenneth, de sensibilité charismatique, lui avait demandé son témoignage à la messe du dimanche.
Et cela avait déclenché une émulation parmi les jeunes du village qui animaient maintenant l'office dominical avec beaucoup de ferveur.
Depuis elle avait beaucoup réfléchi et prié sur les sentiments qu'elle éprouvait pour son cousin.
Après sa conversion, son amour — elle osait utiliser ce mot sans honte — pour Johan déjà profond, n'avait pas diminué, bien au contraire.
Mais il s'était transformé. Elle comprenait maintenant et acceptait qu'elle ne puisse pas l'épouser.
Ses études de biologie l'avaient alertée sur le danger des mariages consanguins. C'était un argument que l'esprit rationnel français de Johan pourrait comprendre.
De plus, mais de manière plus intuitive, par l'inspiration de l'Esprit-Saint, elle percevait au plus profond d'elle que ce n'était pas lui,
le mari que Dieu avait prévu pour elle.
Cependant, il n'y avait pas besoin de beaucoup de clairvoyance pour comprendre, à travers les lettres de Johan, que lui était persuadé du contraire.
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— Tu ne peux pas savoir à quel point je l'aime. J'ai peur de le perdre, reprit Sharon après un long moment de silence.
— Mais tu sais bien que tu ne peux pas l'épouser. C'est ton cousin germain.
— J'espérais au moins revivre de merveilleux moments comme ceux que nous avons vécus tous les quatre, il y a deux ans.
— Votre relation est ambiguë, limite malsaine. Il ne faut pas lui laisser espérer des choses impossibles.
Tu ne peux pas établir une relation avec quelqu'un sur la base d'un mensonge. Le mieux est de lui raconter ton témoignage.
Et de laisser tout le reste dans les mains du Seigneur, ajouta Kathleen. Allons prier, conclut-elle brutalement.
Elles s'écartèrent de la foule dans un coin plus tranquille.
Elles se prirent par la main et, inclinant la tête, prièrent le Seigneur pour Lui offrir ces vacances,
Lui demandant de les conduire elles et ses cousins pendant l'été et pour le reste de leur vie.
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Johan et Lisbeth, après avoir satisfait les exigences de la douane et des services de contrôle des passeports,
arrivaient après avoir récupéré leurs bagages sur le tapis roulant.
— Mon Dieu ! Comme Lisbeth a grandi. Elle est devenue vraiment très jolie, pensa Sharon. Johan ! Lisbeth ! Nous sommes ici ! s'écria-t-elle.
— Michael n'est pas là ? demanda Lisbeth en s'approchant pour l'embrasser.
— Il arrive à Galdwinie de son coté par le train, répondit-elle. Je vous présente Kathleen mon amie. Elle est étudiante avec moi à l'université d'Édimbourg.
Ils se saluèrent. Sharon, réagissant au trop grand empressement de son cousin venu l'embrasser, n'avait pu éviter un geste de recul qui fut mal interprété par Johan.
Du coup, il n'avait pas achevé son geste. Les trois autres se dirigeant vers la sortie, il lui prit doucement le bras.
— Sharon ! J'ai quelque chose d'important à te dire.
— Moi aussi, lui répondit-elle. Mais active-toi. Nous avons encore deux heures de route avant d'arriver chez Granny et Grand-Père.
Nous parlerons dans la voiture.
Ce n'est pas tout à fait ce qu'espérait Johan. Son seul objectif, pour le moment présent, était d'avouer à Sharon combien il l'aimait et qu'il désirait l'épouser.
Il aurait préféré pour cela un peu plus d'intimité.
Arrivés sur le parking où était stationnée la voiture de Kathleen, ils y chargèrent les bagages.
Johan avait espéré se trouver aux cotés de Sharon, mais celle-ci s'installa à l'avant à la gauche de son amie qui conduisait, laissant les places arrières à ses cousins.
A la sortie de l'aéroport, Kathleen s'engagea sur la nationale en direction de Forth Road Bridge, pour prendre l'autoroute qui menait à Perth.
Son style de conduite, calme, respectueux du code de la route, sans agressivité étonnait les deux français habitués à des comportements routiers un tantinet plus musclés.
Jusqu'à la traversée du pont qui permettait d'enjamber le bras de mer Forth, la circulation très dense monopolisait toute l'attention de la conductrice.
Mais le pont franchi, la conversation repris.
— Ce soir après le repas, si c'est comme il y a deux ans, il doit y avoir de la danse au village, entama Johan. Je m'inscris pour la première avec toi, Sharon.
Sharon et Kathleen échangèrent un rapide regard. En l'honneur de l'arrivée des français, le groupe des jeunes chrétiens encadrés par Sharon et accessoirement par Kathleen,
quand elle venait le week-end chez son amie, avait organisé un repas dans la salle paroissiale avec l'accord du Père Kenneth, curé de la paroisse.
Elles avaient demandé à plusieurs d'entre eux de donner leur témoignage.
Sharon, elle-même, avait prévu d'y donner le sien, trouvant cette méthode plus facile pour informer Johan de sa conversion.
— Ce n'est pas ce que nous avions prévu ce soir. Les jeunes du village ont organisé un repas en votre honneur.
Nous aurons juste le temps de déposer les bagages chez Granny et Grand-Père avant de nous y rendre, répondit Sharon.
— Depuis quand les jeunes du village se préoccupent-ils de ce qui se passe au manoir ?
— Il faut que je t'explique.
Sharon prise de cours, ne pouvait plus reculer.
L'existence à Galdwinie du groupe chrétien qui organisait la soirée ne pouvait s'expliquer sans évoquer la part qu'elle y avait prise et pourquoi elle s'y était investie.
Elle se mit à raconter, sa rencontre avec Kathleen, les études bibliques et comment elle s'était convertie.
— C’était donc cela ! pensa Johan.
Tout au long du récit de Sharon, il sentit la colère et la rancune monter en lui.
Au cours de cette dernière année, elle n'avait même pas jugé bon de l'informer des événements qui semblaient prendre tant de place dans sa vie pendant que lui,
au contraire, n'envisageait plus rien de la sienne sans y accorder la plus grande part à sa cousine.
De fait, tous ses projets tombaient à l'eau. Sa déception fut immense.
— Et qu'est-ce-que nous sommes, nous ? Éclata-t-il. Des parpaillots ? Des païens ? Tu comptes devenir bonne sœur ?
Je n'aurai jamais cru que tu serais assez gourde pour te laisser embobiner par une secte, lui lança-t-il méchamment.
Ça fait plus d'un an que ça dure et tu ne m'en a rien dit. Et tournant son agressivité vers Kathleen :
C'est ton amie anglaise qui t'a fourré toutes ces belles idées dans la tête ?
Sous la colère, il s'était exprimé en français. Ni Sharon, ni Kathleen ne s'attendaient à une réaction aussi violente.
Toutes les deux bouleversées, tentaient de retenir leurs sanglots. Lisbeth ne savait plus quelle posture adopter.
Elle n'était pas loin de penser comme son frère, mais l'attitude de celui-ci lui parut disproportionnée et inappropriée.
Ressentant fortement sa souffrance, elle chercha à lui saisir la main pour l'apaiser. Mais il retira sa main brutalement.
— Non ! cria-t-il. En quinze minutes, vous venez de foutre en l'air mes vacances. Et probablement toute ma vie, ajouta-t-il mentalement.
Johan avait utilisé des mots vulgaires, pour blesser volontairement ses interlocutrices.
Puis, s'enfermant dans son mutisme, il se détourna pour regarder le paysage qui défilait.
On venait de dépasser Perth et Kathleen quitta l'autoroute pour emprunter la route secondaire qui menait à Galdwinie.
C'était pourtant une belle journée et le soleil brillait encore ardemment bien qu'il commençait à se faire tard.
Maintenant, le paysage était sauvage et magnifique. D'habitude il y trouvait un grand charme. Mais ce soir là tout lui paraissait morne et triste.
Après son éclat de tout à l'heure, un silence de plomb s'était installé dans la voiture, que personne n'avait le courage de rompre.
La voiture ralentit. On entrait dans le village.
La rue principale était bordée de maisonnettes en pierres brutes dont l'étage situé sous les combles était éclairé par de petites fenêtres en chiens assis.
Un muret au sommet arrondi délimitait les minuscules propriétés.
Le manoir des MacPelt se situait un peu plus loin sur la hauteur au milieu d'un parc sauvage agrémenté d'arbres séculaires.
C'était la seule habitation du lieu à posséder deux étages. En passant devant l'église, malgré l'atmosphère pesante qui régnait dans la voiture,
Kathleen osa un coup de klaxon salué par tous les jeunes qui s'affairaient autour de la vaste table dressée sur la pelouse pour le dîner.
Les roues crissèrent dans les gravillons de l'allée. La voiture s’arrêta.
Granny et Grand-Père étaient déjà sur le perron pour embrasser leurs petits-enfants. Sarah, la gouvernante qui prenait soin de la maison, les accompagnait.
Ils déchargèrent la voiture et déposèrent leurs bagages dans le hall.
Après avoir embrassé leurs grands-parents, tous sauf Johan se hâtèrent vers le centre du village pour prendre le repas qui avait été préparé à leur intention.
Lise avait bien tenté de l’entraîner avec elles, mais celui-ci lui fit comprendre qu'après ce qui s'était passé dans la voiture, il préférait rester seul.
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