Chapitre 8 - Fin des vacances

Chapitre 8 - Fin des vacances
C'était le jour de la fête paroissiale. La famille de Johan y prenait une part active. La plupart des activités de la journée allaient se dérouler dans le parc du manoir. La veille, Michael, son cousin, avait passé une bonne partie de la journée à tondre le gazon. De grandes tentes blanches, qui devaient abriter les différentes associations de Galdwinie, avaient été montées disséminées entre les arbres séculaires. MacSaor, le charpentier avait monté une estrade, non loin du grand cèdre, afin que les talents du village puisse venir y exprimer, qui un poème, qui un concert, qui une danse. C'est sur cette piste que Johan devait ouvrir le bal avec la Dame de son choix. Sous le cèdre, avait été installée une autre estrade sur laquelle étaient posées deux cathèdres en chêne sous un dais, pour le Laird et la Dame de Galdwinie, les grands-parents de Johan, qui allaient présider la fête.
En remontant du petit-déjeuner, il trouva dans sa chambre, son costume que Sarah avait préparé. Il commença à s'habiller. Il enfila une chemise de lin sans col. Johan, constata avec plaisir que Sarah y avait monté en jabot, la dentelle très fine qu'il avait fabriquée à cet effet. Cela lui évitera d'être étranglé par une cravate. Puis il passa le kilt en tartan qu'il fixa avec son large ceinturon noir dont la boucle portait gravés, le cèdre et les trois épées du crest de sa famille. Il se vêtit enfin d'un gilet noir à trois boutons carrés en argent gravés également au crest des MacPelt. En laçant ses ghillies1 autour du mollet, il dissimula dans sa chaussette droite, son sgian dubh2 dont la poignée en vermeil rappelait la décoration des trois épées du crest, en le laissant dépasser en signe de paix. Puis, il attacha son sporran3 à son ceinturon. Il s'empara de son bagpipe4 dont la poche était recouverte de tartan et les bourdons maintenus par des rubans verts, rouges et jaunes aux couleurs du clan.

Le tartan du clan MacPelt était composé d'une large bande vert sombre, la couleur du cèdre en fait, encadrée de deux bandes vert prairie, alternées avec une bande rouge vif. Des lisérés jaunes, deux sur la bande verte, un seul sur la bande rouge, agrémentaient le tout.
Ainsi équipé, il descendit rejoindre son cousin dans le parc. Les sonneurs du village étaient avec lui en train de dérouiller leurs instruments. Johan se joignit à eux.
On attendait les jeunes filles de la maison. Lorsqu'elles parurent en haut du perron, ce fut un murmure d'admiration. Toutes les quatre étaient vêtues d'une longue robe en laine blanche. Sur leur épaule était agrafé le sash5 en tartan. Leur longue chevelure était tressée avec des rubans de soie colorée et relevée en chignon sur le sommet de la tête. Elles avaient la taille serrée par une ceinture de soie de même teinte que les rubans. Malgré la similitude de leur tenue, elles se distinguaient par la couleur de leurs accessoires. La petite Megan, dont la chevelure blonde tendait vers le roux, avait choisi une nuance verte pale et portait des boucles d'oreilles en frivolité ornées d'une émeraude. Kathleen portait la couleur rouge foncé et ses oreilles étaient parées de boucles d'oreilles blanches garnies d'un rubis. La ceinture et les rubans de la blonde Sharon étaient de soie rose et un diamant brillait à ses oreilles. Quant à Lisbeth, la brune, son visage d'une beauté remarquable était rehaussé de bijoux de soie bleu ciel avec des saphirs. Les boucles d'oreilles avaient été façonnées par Megan. Mais Granny y avait fait remplacer les perles de résine de la petite fille par de vraies pierres précieuses.
— « Four Pearls of Galdwinie », aboya MacGobha qui dirigeait l'ensemble des bagpipers.
Et toutes les cornemuses se mirent à jouer l'hymne emblématique du village en l'honneur des quatre jeunes filles. Quand la musique s'arrêta, Kyle monta chercher Megan, la prit par la main et la mena devant Johan. La petite fille fit une révérence, pendant que Kyle mettait un genou en terre. Ce geste imprévu était celui de l'allégeance ancestrale au chef de clan. Johan, ému, les releva et les serra tous les deux contre son cœur comme il l'avait déjà fait le jour où pendant les travaux de restauration de la Maison paroissiale, ayant pris conscience de leur talent caché, il avait ressenti la détresse des deux petits. Du coup Kathleen, Sharon et Lisbeth imitèrent Megan, après avoir descendu l'escalier du perron. Johan, remarquant le marque-page épinglé sur l'écharpe de Sharon, sut qu'elle lui avait pardonné. Alors il les embrassa l'une après l'autre en les relevant.
— Si jamais Grand-Père apprend ça, lui dit Michael à l'oreille, il va faire une attaque. C'est encore lui, le Laird de Galdwinie.
Mais Grand-Père était apparu en haut du perron, accompagné de Granny, tous les deux vêtus du costume du clan. Ils avaient tous deux assisté, amusés, à la petite cérémonie improvisée.
A l'église, Michael et Johan devaient interpréter deux cantiques traditionnels écossais. Le premier fut « Amazing Grace ». Michael joua la première strophe en solo, les bourdons muets. Puis tous les sonneurs devaient le suivre sur les strophes suivantes.
— Attention en lançant les bourdons, dit Michael. Tous ensembles.
Puis ils jouèrent le second morceau « Morning Has Broken ». Sharon aimait particulièrement cet hymne composé par Eleanor Farjeon pour les enfants.
— Un couac sur ce morceau et tu devras affronter les courroux de ma sœur « Ad Aeternam », lui glissa à l'oreille Michael, avec une allusion à la devise des MacPelt, histoire de lui mettre la pression.
Mais ils l’interprétèrent à la perfection. A la fin de la messe, sur une invitation du prêtre à échanger un signe de paix, après une hésitation, mais en repensant à ce que lui avait dit le Père Kenneth la veille quand il avait quitté la Maison paroissiale, pour être fidèle aux symboles de son clan, Johan se dirigea vers sa cousine Sharon et son amie Kathleen. A la manière avec laquelle cette dernière lui rendit son baiser, il sut qu'elle aussi lui avait pardonné. La première partie de la prière de son cousin qui le concernait était exaucée.
— Tu ne notes rien sur ton petit carnet vert, demanda Johan à Michael, ayant reçu le clin d’œil que ce dernier lui avait lancé.
— C'est déjà noté depuis hier soir. J'ai compris lorsque j'ai vu Kathleen aller frapper à la porte de Granny, quand nous sommes rentrés.
Johan, une fois de plus, était étonné de la foi extraordinaire de son cousin. Michael croyait fermement à la parole de Jésus : « C'est pourquoi je vous dis: Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avez reçu, et vous le verrez s'accomplir » (Marc 11:24). Et il s'interrogea quant à la seconde partie de la prière qui demandait sa propre conversion.
Après le repas de midi, Granny et Grand-Père sortirent dans le parc, accompagnés de leurs petits-enfants, de Kathleen, de Megan et de Kyle. Après avoir fait le tour des tentes disséminées parmi les arbres, qui abritaient les activités des diverses associations de la paroisse, ils se dirigèrent vers l'estrade qui leur était réservée. Ils restèrent debout pendant que les bagpipers jouaient l'hymne écossais « Flowers of Scotland », Granny préférant cet air au trop martial « Scotland the Brave » qui ne s'accordait pas, de son point de vue, avec les valeurs de paix portée par le clan MacPelt.
Normalement, le Laird de Galdwinie et sa Dame devaient ouvrir le bal par la dance des « Trois épées ». Mais Grand-Père et Granny, trop âgés, l'avait délégué à Johan, charge à ce dernier de désigner sa Dame. Deux ans avant, Johan avait choisi sa cousine Sharon dont il était épris. Mais cette année, après sa conduite de l'été, il hésitait. Un sourire de sa jolie cousine l'encourageant, il l'invita.
— Haute et puissante Dame de Galdwinie, acceptes-tu de m’accompagner pour cette danse ? lui dit-il en s'inclinant cérémonieusement devant elle.
— Ce sera avec honneur, My Laird, répondit-elle avec une révérence.
MacGobha enfonça les trois lourdes épées dans le sol, sous le cèdre. Et, les sonneurs ayant commencé à jouer de leur cornemuse, Johan et Sharon se mirent à danser, évoluant autour des armes plantées en terre. C'était une danse très technique, et Johan, n'ayant pu s’entraîner pendant l'été du fait de l'absence de sa cousine, craignait de faire une balourdise. Mais Sharon, avec beaucoup de gentillesse, le guida fermement pour les pas difficiles.
Suivirent les prestations des groupes folkloriques du village et du comté. Sharon à la harpe et Kathleen à la flûte interprétèrent « Greensleeves ». Bien que Winifred, l'amie de Michael, soit absente, en vacances chez ses grands-parents au Pays de Galles, le groupe de Clog Dancing6 dont elle faisait partie présenta plusieurs chorégraphies.
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Le soir, les jeunes se réunirent sous le cèdre. Ils se mirent à discuter de leurs projets respectifs.
— Alors vous repartez demain ? demanda Sharon à ses cousins.
— Oui, répondit Johan. J'ai eu Papa et Maman au téléphone tout à l'heure. Ils viendront nous chercher à Roissy demain soir. Et Toi ?
— Je vais rester avec Granny et Grand-Père. Je ne les ai pas beaucoup vus cet été. Ne le prend pas comme un reproche, ajouta-t-elle. J'ai l'intuition que tout s'est passé comme il fallait que cela se passe. Et, au final tout est bien.
— Tu retournes à Édimbourg l'année prochaine ?
— Non, pour la spécialité que j'ai choisie, il faut que j'aille à Glasgow. Et toi, tu sais dans quelle école tu vas aller ?
— Papa m'a donné les résultats. Je me suis planté au concours. Je suis 827ème dans la liste d'attente pour l'ENSAM. Mais je suis accepté pour l'ENSAIS à Strasbourg.
— J'aimerai que nous priions tous ensembles maintenant, exprima Kathleen. Lisbeth et toi aussi Johan. Car quoi que vous en pensiez, Jésus est votre ami.
— S'il était mon ami, j'aurai intégré l'école de mon choix. Au lieu de ça je vais devoir me contenter d'une école moins prestigieuse, à moins de redoubler, lui répondit Johan.
— Le prestige d'une école vient de la qualité des hommes qui en sortent. Après les prodiges accomplis cet été, j'ai la conviction que Dieu a un plan pour chacun de nous. Dieu dit par la bouche du prophète Esaïe : « Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies, dit l’Éternel. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, Et mes pensées au-dessus de vos pensées » (Esaïe 55:8-9). Je peux t'assurer que vu comme le Seigneur t'a béni dans ce que tu as fait cet été, ce ne peut être que le meilleurs plan pour toi. Prions maintenant.
Et Kathleen récita une longue prière d'action de grâce.
— Nous te prions au nom de ton fils Jésus, conclut-elle
— Amen ! répondirent-ils tous.
1 Les ghillies sont des sandales sans talon en cuir noir qu'il faut lacer de quatre tours autour de la cheville et du mollet.
2 Le sgian dubh est un petit poignard que les écossais en costume traditionnel, portent dans leur chaussette.
3 Le sporran est une bourse en cuir décorée au crest du clan, attachée au ceinturon, portée devant, par dessus le kilt, pour remplacer les poches dont il est dépourvu.
4 Le bagpipe est la cornemuse écossaise.
5 Le sash est une écharpe en tartan portée par les femmes sur leur épaule. Elle est fixée par une broche sur laquelle est gravé le crest du clan.
6 La Clog Dance, est une danse folklorique du Pays de Galles. Elle se danse avec des chaussures ferrées à la pointe et au talon. Elle est à l'origine de la danse de claquettes des comédies musicales américaines.

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